La nuit tisse sa toile d’étoiles, cocon se refermant petit à petit sur moi comme sur une proie qui ne se débat presque pas. Le silence se fait plus épais comme des liens invisibles qui retiennent mes mots et chaque geste que je fais s’ébroue en un écho de vent inaudible. L’horloge semble accompagner les battements du muscle cardiaque, le dépassant, puis les secondes se laissent rattraper et le laisse en retrait à nouveau. Rien ne vit plus qu’en étant suspendu dans l’air comme une plume qui ne toucherait plus jamais le sol.
J’allume ma dernière cigarette et machinalement mes doigts se crispent sur le paquet qui vient, comme une sculpture de César, trôner sur la table de la cuisine tel un pauvre trophée d’une journée emplie de nicotine et de stress…
Le bout rouge et incandescent laisse échapper des volutes de fumées bleues, qui planent tels des serpents impalpables et s’enroulent les uns autour des autres, me surveillant, veillant sur moi peut-être. Dans ce silence et cette nuit, il semble que ce point rouge me regarde, œil brûlant d’Abel, et je deviens Caïn le damné, pauvre fou enterré vivant avec ses doutes, ses peines, et ses fautes…
A jamais.
Chaque respiration devient coup de tonnerre, déchirant l’espace, déchirant le temps. Même le rideau, légèrement soulevé par une brise nocturne, se froisse et retombe comme un couvre lit qu’on pose au matin.
C’est alors qu’elle est venue…
Sans que je l’attende, se poser sur mon visage.
Douce.
Presque violente.
Cristalline et langoureuse.
Elle se fraya un chemin à travers les cils, puis se laissa tomber, sinueuse, sur ma joue et mourut sur mes lèvres.
Larme, toi dont l’existence ne dura qu’une brève poignée de secondes,… Qui m’expliqueras d’où tu naquis ?
Paisible…
Un trop-plein de sentiments peut-être ? une coupe qui déborde d’émotions et qu’on essaie de contenir…la goutte qui ne rentrait plus.
Sûrement.
Sûrement !
Le silence envahissant, pénétra mon esprit subrepticement, et me laissa sans pensée…sans pensée.
Le Vide.
Rien. Le Néant.
Enfin, le Néant.
Plus d’émotions, plus de sentiments, plus rien qui n’empêche de vivre. Plus de remords, plus de regrets, pas même une once d’inquiétude. Juste le Vide. Grand. Comme un mini Cosmos dans mon cerveau, en perpétuelle expansion, détruisant toute forme de pensée et de mémoire sur son passage. Un trou noir engloutissant mes peines.
Et puis…la lumière. Venue sous la forme du vent.
Le rideau qui tout à l’heure se froissait au ralenti dans un film muet, se souleva tout à coup en un discret claquement infime, tout juste assez fort pour éclairer le silence et l’obliger à fuir de mon esprit.
Tout revint alors.
Les pourquois, les comments, les parce que, même les à cause.
La chaleur commença à me brûler le bout des doits comme pour m’indiquer qu’il était trop tard pour une dernière bouffée salvatrice et destructrice.
J’écrasais le filtre rongé dans le cendrier noir, éparpillant quelques morceaux de cendres rouge, petits bouts de feu qui s’éteignent, sans vie…
Comme mué par une envie quelconque, je me levais dans un froissement et le plancher craqua doucement sous mes pas comme l’aurais fait la neige sous des raquettes.
Je me laissais tomber sur le canapé presque sans vie, mon corps lourd comme un fardeau pour moi même.
Puis l’écran de l’ordinateur tout à l’heure en veille se ralluma automatiquement pour me signifier qu’il allait passer en mode déconnexion dans trente secondes.
J’ai alors pensé que trente secondes seraient largement suffisantes pour me lever et aller jusqu’au fauteuil, prendre le clavier et commencer à écrire.
Mais écrire quoi ?
Les doutes et les peines qui m’habitent ?
Les douleurs qui me hantent chaque jour ?
Qui les liraient ?
Et qui les comprendraient ?
Qui pourrait comprendre ce que je ressens sinon….
Mon autre moi même. Cet être qui vit dans un autre monde, parallèle, et qui m’aide à tenir quand je ne suis plus qu’une ombre.
Alors, comme j’avais envie de faire part à quelqu’un de ces impressions nocturnes, sans toutefois lui faire prendre part à mes chagrins ainsi que le fait la pluie lorsqu’elle tape au carreau et fait un bruit de cœur brisé, j’ai décidé de décrire le moment présent ne sachant pas qui allait le lire.
Même si j’en avais une petite idée.
Seul.
Voilà comment je vis. Et même si je donne et reçois de l’amour d’un petit être à qui j’ai donné la vie, je suis Seul.
C’est ce qu’il fallait retenir de cette impression nocturne.
La solitude est le sang de la nuit.
La nuit qui tisse sa toile d’étoile, cocon se refermant petit à petit sur moi comme sur une proie qui ne se débat presque pas…..et caetera, et caetera.
Et comme tu le dis si bien, toi qui lis ces lignes….
« La boucle est bouclée. »
Dimanche 24 Août 2003
Minuit vingt-cinq